Je tombe sur cette annonce de vente aux enchères de la maison Bonhams pour l'auteur Congo et cela me rappelle l'histoire de Boronali (lire plus loin la version de Roland Moreno) puis encore ce livre que j'avais adoré Evguénie Sokolov , de Serge Gainsbourg, chez Gallimard : Gainsbourg raconte comment peignait Sokolov le pétomane: assis sur un siège à ressort, avec un pinceau dans les fesses....
Voici pour votre culture les deux oeuvres : celle de Congo (le singe) "Untitled Abstract" et celle de Boronali (l'âne): "Coucher de soleil sur l’Adriatique". Pas mal, non?
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Entrée solennelle d’un âne dans l’Histoire de l’Art
[Extrait de Théorie du Bordel Ambiant, de Roland Moreno, Belfond, 1990]
Une espèce de démonstration par le ridicule [en] a été administrée par Roland Dorgelès, en un admirable canular monté il y a plus d’un siècle :
Le Festival d’automne de 1905 ayant fait connaître les premiers fauvistes (Matisse, Vlaminck, Marquet, Derain), certains commentaires plus désagréables que d’autres avaient pu être entendus : “barbouillages informes… jeux barbares… aberrations picturales… mauvaises plaisanteries… débauche orgiaque de couleurs, cauchemar, mystification”, et d’autres encore.
À un aubergiste de ses voisins, Dorgelès emprunta son âne. Et, à la queue de celui-ci, il fixa un pinceau.
Puis, dans le jardin montmartrois du farceur, commodément installé devant une table chargée de ca-rottes, d’épinards, de cigarettes, et, en présence d’un huissier, l’animal commença à se gorger de friandises et à remuer sa queue. Celle-ci frottait au passage contre une toile disposée par Dorgelès sur une chaise, à bonne hauteur. Toutes les dix minutes, le pinceau frotteur était autoritairement trempé dans un pot de couleur différente.
Une fois le résultat jugé satisfaisant, Dorgelès et ses copains lui attribuèrent une signature (“Boronali ”) et un titre : "Coucher de soleil sur l’Adriatique", avant de courir l’exposer au Salon des indépendants.
Le style “excessif” de Boronali y fit l’objet de certaines critiques (en raison de la personnalité hypertrophiée qu’il semblait refléter) mais le tableau trouva preneur, pour 400 francs .
Boronali est un peu comme ce que l’on [souvenez-vous] disait de Mai 68 : rien n’aura jamais plus été comme avant dans le monde de l’Art après ce canular historique.
Toute la problématique de la création artistique se trouve en effet ramenée, grâce à Boronali, dans le champ de l’incertitude. Cet âne prouve à lui seul, que dans le domaine de l’art, l’incertitude — quelle qu’en soit la proportion — suffit à provoquer un désordre total.
Hypothèse (démonstrative et scientifique) : le Coucher de soleil est présenté à un expert ignorant le style (et surtout le nom) de Boronali. S’agit-il d’un jeune peintre albanais, très célèbre dans son pays (genre de Picasso à ses débuts), ou bien est-ce un âne à la queue duquel on a accroché un pinceau ? Pas besoin de réfléchir longtemps pour comprendre que l’expert ne dispose évidemment de rien pour trancher.
Variante : deux toiles seraient soumises à un expert étranger qui ne connaît pas Coucher de soleil, cette fois faussement signé de Soulages , et à un autre Boronali (pourquoi pas un Lever de soleil ?) attribué à un confrère du même Soulages : l’expert est encore incapable de se déterminer.
Une seule dose de désordre suffit donc à créer 100% d’incertitude .
À l’autre bout de la gamme, on trouve une autre mystification, dont le rappel est aussi souvent mal vécu, par les amateurs d’art pictural, que celle montée par Dorgelès.
Au lieu d’un âne, il y avait en effet, dans les années 30, un remarquable peintre, dont les talents de copiste trouvaient un épanouissement particulier dans les reproductions de Bruegel, Vermeer, et — c’est le plus important — Bouguereau (peintre peu coté à cette époque).
Ce peintre était l’âme damnée d’un escroc, dont l’absence d’humour était efficacement occultée par une solide âpreté au gain ; celui-ci avait élaboré l’admirable scénario suivant :
1. Copier (et signer) une trentaine de flamands et hollandais (œuvres choisies parmi les moins en vue).
2. Vernir soigneusement les trente toiles.
3. Par-dessus le vernis de chacune d’elles, copier (et signer) des Bouguereau.
4. Du Havre, et en ayant pris soin de déclarer la totalité de ses bagages (y compris et surtout les trente “Bouguereau”), l’escroc s’embarque pour New York.
5. Depuis Paris, son complice télégraphie aux autorités portuaires new-yorkaises, et dénonce comme elle le mérite cette “exportation illégale de peinture flamande maquillée”.
6. L’escroc peut donc être cueilli, dès sa descente de la passerelle, par une brigade douanière spécialisée, qui s’empresse de frictionner les tableaux avec les chiffons et les solvants adéquats.
7. Effondré devant la révélation des Rembrandt, des Rubens et des Vermeer, l’escroc s’incline devant l’évaluation qui en est faite par les autorités, et se trouve obligé de payer (sous peine de séquestration) de très forts droits d’entrée, d’un montant évidemment égal à la différence entre les droits acquittés pour les toiles de Bouguereau et ceux applicables aux chefs- d’œuvre flamands frauduleusement importés.
8. Mais il a de l’argent sur lui, il paie les trente amendes de 1 000 francs chacune.
9. Une fois en règle, on devine qu’il achève de nettoyer les pompiers décors désormais inutiles, et qu’il s’empresse alors de vendre, au centuple, ces trente primitifs flamands désormais authentifiés par le reçu officiel des douanes.
Embêtante, quand même, cette émotion artistique exaltée par un coup de tampon. Non ?
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Rédigé par : bbn | 24/07/2006 à 10:37